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vendredi 29 février 2008

La Turquie s’étire les yeux ouverts N°151 - 1ere année

Tel un félin qui s’étire en allongeant ses pattes avant de les faire revenir, la Turquie rappelle à la communauté internationale son existence par sa seconde intervention dans le nord de la Mésopotamie contre les camps des kurdes du PKK. En janvier, l’armée turque n’avait fait qu’une avancée rapide ; en février, elle déplaçait un véritable corps d’armée.
Ankara a des accords particuliers et anciens avec Washington et Tel-Aviv. S’ils ne varient pas, ils subissent quelques retouches quand les intérêts stricto sensu de la Turquie sont trop en jeu. Ankara n’admettra jamais un Kurdistan indépendant, pas davantage, elle ne voudra regarder le génocide arménien comme de son fait : la République rappelle toujours que ce sont des forces impériales ottomanes – et parmi elles, les Kurdes - qui « déplacèrent » les Arméniens et non le régime kémaliste.
La république kémaliste ne variera pas davantage au sujet de Chypre. A la lecture de ces lignes, ne conclurait-on pas que ce pays s’est immobilisé sur des principes qu’ils jugent intangibles ? Ce serait une vue fausse.
La Turquie, des années 1920, de l’après-guerre ne se reconnaîtrait pas dans celle de 2008. Depuis la fin de l’URSS, elle n’est plus le seul flanc sud de l’OTAN ; elle est, maintenant, le centre et la plate-forme à partir de laquelle les cercles concentriques du système eurasiatique prennent forme.
Sa politique en direction des républiques turcophones est forte. Le professeur Pahlavi de l’université Mc Gill l’expose clairement. Ankara construit, petit à petit, un « panturkisme » ainsi qu’un alphabet panturque
« pour fédérer les peuples turciques ». Sa chaîne de télévision, T.R.T-AVRAZYA est l’un des plus gros diffuseurs transnationaux dans le monde. Mais, elle se doit d’agir avec prudence parce qu’elle se heurte dans cet espace géographique aux ambitions de la Chine, du Pakistan, de la Perse, de la Russie, des Etats-Unis et même, indirectement, à celles de l’Union européenne.
Dans le Caucase et l’Asie centrale, les enjeux sont colossaux en termes économiques, financiers, stratégiques. Et la Turquie se trouve au carrefour de toutes les questions pour le contrôle du continent eurasiatique.
Envers les Etats-Unis, elle connait sa place d’interlocuteur fondamental au sein de l’OTAN auprès des républiques turcophones et a besoin de Washington pour étendre son influence en Mésopotamie. Or, la capitale américaine ne peut se passer de la bienveillance turque pour s’imposer dans l’Orient. Les tensions existent, pourtant, entre les deux alliés comme l’écrit Ugur Kaya, chercheur au CIRPES:
« Les Etats-Unis et la Turquie mènent désormais une alliance ‘à la carte’, au milieu d’une région complexe, contrairement au ‘bon temps de la guerre Froide contre l’ennemi commun’. La fréquence des crises entre les deux pays depuis cinq années a provoqué une accumulation de tensions difficiles à digérer. L’arrestation des officiers turcs, chargés de communication en Irak du nord en fut un paroxysme. A cela s’est ajoutée celle de l’ambassadeur américain Edelman, accusé de se comporter en « gouverneur colonial » en raison de ses commentaires, entre autres sur la visite du Président en Syrie. Il a démissionné après 18 mois seulement pour être sous-secrétaire à la Défense. »
En fonction de ses réflexions et des événements régionaux qui seront autant militaires qu’énergétiques, Ankara pourrait exprimer des vues surprenantes; à savoir son intérêt à jouer entre les différentes puissances pour préserver ses intérêts vitaux.
Les sujets de disputes ne manquant jamais en Orient, pas davantage en Asie centrale, tout est possible dans des combinaisons à condition de ne pas oublier que peu d’états ont une existence historique ancienne : Arabie, Perse, Turquie. Syrie, Liban, Irak, Jordanie, Israël ne sont que des conséquences de la politique internationale et d’événements historiques tragiques d’une part et de l’affaiblissement progressif, d’autre part, de l’empire Ottoman au XIXe siècle.
Le problème turc est, peut-être, de sentir sa légitimité de l’Asie centrale à l’Orient comme naturelle et historique. La république kémaliste est partagée entre un dessein géopolitique qui la reconnecte à l’histoire ottomane et le besoin de jouer un rôle transcontinental. Combien de temps pourra-t-elle jongler de cette sorte ? Comment réglera-t-elle la question du génocide arménien ? Son devenir se liera, étroitement, à sa façon d’arbitrer mais aussi à subir, les desseins unilatéraux, p.e, américains, chinois, russes. Les gouvernements successifs de la république kémaliste n’entendent pas perdre au change dans un monde qui incline vers le désordre, vers l’incertitude.
Si Ankara est membre du Conseil de l’Europe depuis 1949 son adhésion à l’Union européenne se lit plus comme une option stratégique ambivalente
« A contrario, un éloignement de l’Europe, dixit Uugr Kaya, affaiblit la Turquie vis-à-vis des Etats-Unis. Et un éloignement simultané des deux côtés peut provoquer une crise intérieure. A leur tour, les capitales européennes, notamment Paris et Berlin n’ont pas compris que le l’essentiel pour la Turquie n’est pas l’impossibilité de son adhésion à l’Union à moyen ou même long terme : la poursuite d’un vrai processus elle-même permet un ancrage sociopolitique et est aussi une garantie de sécurité pour la Turquie. »
La Turquie est une puissance décomplexée. Deviendra-t-elle une force dangereuse ou déstabilisante ? Son passé prestigieux indique, plutôt, que son souci est d’assurer une stabilité et une tolérance. Elle est de toute manière indispensable.


©Jean Vinatier 2008

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Source :

Ugur Kaya : « Où vont les relations turco-américaines ? » janvier 2008
http://cirpes.net/article206.html

Sources in Seriatim :

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