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vendredi 5 septembre 2008

USA les élections singulières V : Obama et McCain dans la « stratégie de Shéhérazade¹ N°280 - 2eme année » ?

La journaliste de Rue89, Guillemette Faure, place en bonne ligne cette remarque du consultant Matthew Dowd « Obama s’est placé sur une scène mondiale, McCain se place sur une scène américaine »² et Christian Salmon dans un très attractif billet publié ce jour dans Le Monde rapporte un propos de Karl Rove, le gourou des néo-conservateurs: « Quand la politique vous condamne à mort, commencez à raconter des histoires - des histoires si fabuleuses, si captivantes, si envoûtantes que le roi (ou, dans ce cas, les citoyens américains, qui, en théorie, gouvernent notre pays) oubliera sa condamnation capitale." »¹ C’est ce qu’il dénomme la « stratégie de Shéhérazade » le personnage central des contes des Mille et une nuits.
Les élections américaines ne sont décidément pas ternes. Elles se déroulent dans un climat original mais lourd : économie américaine en berne, un capitalisme financier passé de Wall Street dans « the rest of the world », une affirmation militaire impériale en butte aux difficultés. Toutes ces tensions, les deux candidats les voient mais d’une certaine manière les taisent. Tant à Denver, (Obama) le 28 août qu’à Saint-Paul, (McCain) le 4 septembre les orateurs ont électrisé la salle, regroupé les militants et veillé à être bien distincts de leurs prédécesseurs. Ce soin apporté à leur nouveauté respective- McCain rompt avec Georges Bush, Obama parle de rupture - tient, peut-être, à l’interrogation des Américains : « Que faisons-nous ? Quoi de mieux que de faire entrer l’auditoire et demain leurs concitoyens dans une histoire où chaque anonyme devient un héros par l’adhésion au discours. Cette façon d’envelopper les foules est d’ordre psychologique, la réalité baisse en intensité tandis que chacun des deux leaders dit « avec moi vous serez sur la scène mondiale ou sur la seule scène américaine » alors qu’ils seront toujours sur la même scène. Obama et McCain en « Shéhérazade » sont-ils des conteurs de conviction ou bien expriment-ils des désarrois ?
Dans
Les Mille et une nuits, le roi de Perse, Schahriar, apprenant l’infidélité de son épouse ordonne son exécution et depuis il épouse chaque jour une vierge qu'il tue au matin de la nuit de noces. La fille du grand vizir, Shéhérazade, se porte alors volontaire pour faire cesser le massacre, et met au point un stratagème. Chaque soir, elle commence une histoire sans la terminer. Au matin, son mari, le roi Schahriar, voulant connaître la suite oublie de l’exécuter et ainsi de suite….Ces contes sont un exemple célèbre d’un procédé littéraire, la mise en abyme : on place à l’intérieur du récit principal un récit qui reprend plus ou moins fidèlement des actions du thème principal. Ce jeu de miroirs donne le vertige, au lecteur (dans le cas présent à l’auditoire) qui ne sait plus qui parle.
Il est parfaitement possible de relier la remarque de Matthew Dowd aux propos de Karl Rove, personnage important dont les idées ont largement dépassé le camp républicain et ont séduit des démocrates. Ses propos rapportés par Christian Salmon ne peuvent être badins.
Est-il important de savoir qu’un candidat est sur la scène mondiale, l’autre sur la scène américaine alors que leur discours respectif se rejoint sur bien des plans ? Ils insistent tous les deux sur la rupture, pointent du doigt les coupables « Washington, New York », des Sodome et Gomorre dont on devrait fuir la vue. Et de se tourner vers le peuple : Obama
« Le changement survient parce que le peuple américain le demande, parce qu’il se donne et prône de nouvelles idées et de nouveaux dirigeants. Une nouvelle politique, une nouvelle ère. » ; McCain « Levez-vous, levez-vous et battez-vous (…) Nous ne nous cachons jamais de l’histoire. Nous faisons l’histoire »
Nouvelle ère, faire l’histoire : c’est là une bien grande prétention ! Certes les campagnes électorales sont le prétexte à un défoulement pour galvaniser les hommes. Notre époque est, certainement, celle qui use si facilement de tout et de n’importe quoi sans se préoccuper d’une quelconque hiérarchisation. Elle passe immédiatement à une autre histoire et ainsi de suite de sorte que les gens perdent la mémoire, ne savent plus qualifier l’événement. L’emphase est permanente. La différence entre l’héroïne des Mille et une nuits avec notre temps est l’absence de philosophie, de pensée. La lecture de ces contes peut nous étourdir mais elle nous enseigne énormément : chaque histoire a sa richesse, son tenant, son aboutissant et, surtout, une morale de vie. Le conte est structuré. Il est positif. Il n’est pas machiavélique. Par contre, tel que l’expose Karl Rove, l’intention serait moins louable : emporter les hommes, les amener de chute en chute ou de rebond en rebond tel un navire fantôme sans boussole. C’est dire si cette manière de faire recèlerait des dangers : des hommes auxquels toute capacité de se souvenir est ôtée, seraient les jouets des tyrans.
Une telle observation n’interdit pas d’accorder à Barack Obama et à John McCain la sincérité de leurs convictions ; cependant, ils seraient tout autant emportés que leurs concitoyens. Il y aurait là quelque chose de terrible. Et cette campagne électorale se singulariserait par la force des idées insérées dans des discours appelés à se renouveler aussi longtemps qu’il le faudrait. La pire chose que dit Karl Rove c’est que la politique est morte et par conséquent la démocratie. Cette Shéhérazade estampillée Rove nous fait trembler.

©Jean Vinatier 2008

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Sources :


1-Christian Salmon in
http://www.lemonde.fr/archives/article/2008/09/05/le-retour-de-karl-rove-le-scenariste-par-christian-salmon_1091916_0.html

2-
http://www.rue89.com/campagnes-damerique/les-trois-grands-tournants-de-la-strategie-de-john-mccain

Philippe Coste in
http://blogs.lexpress.fr/nycoste/2008/09/le-fiasco-mccain.html

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