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samedi 3 mai 2008

Jean Genet dans l’atelier d’Alberto Giacometti N°196 - 1ere année

Jean Genet(1910-1986) et Alberto Giacometti ! Pouvait-on imaginer une rencontre aussi improbable ? Elle se fit en 1954. Dans ce court et méconnu ouvrage, Jean Genet est bien différent de ce que l’on rapporte pour sa navigation dans les univers interlopes. Il a une écriture riche, raffinée, subtile. Il faut le voir dans cet atelier des frères Giacometti, Alberto (1901-1966) et Diego (1902-1985), au 46 rue Hyacinthe-Maindron dans le XVIe arrondissement conversant avec l’artiste. Dans cet atelier, Jean Genêt marque-t-il une pose dans son errance et sa solitude ? L’œuvre des frères Giacometti connue dans le monde entier paraît aux antipodes des souffrances de l’écrivain. Il y trouve calme et réconfort, semble-t-il !
Alberto Giacometti a accueilli l’écrivain comme Jean Cocteau et Jean-Paul Sartre qui lui épargnèrent bien des peines.


« Le chien en bronze, de Giacometti est admirable. Il était encore plus beau quand son étrange matière : plâtre, ficelles ou étoupes mêlées, s’effilochait. La courbe, sans articulation marquée et pourtant sensible, de sa patte avant est si belle qu’elle décide à elle seule de la démarche en souplesse du chien. Car il flâne, en flairant, son museau allongé au ras du sol. Il est maigre.
J’avais oublié l’admirable chat : en plâtre, du museau au bout de la queue, presque horizontal et capable de passer par le trou d’une souris. Son horizontalité rigide restituait parfaitement la forme que garde le chat, même lorsqu’il est en boule.
Comme je m’étonne qu’il y ait un animal, - c’est le seul parmi ses figures :
LUI. – C’est moi. Un jour je me suis vu dans la rue comme ça. J’étais le chien.
S’il fut d’abord choisi comme signe de misère et de solitude, il me semble que ce chien est dessiné comme un paraphe harmonieux, la courbe de l’échine répondant à la courbe de la patte, mais ce paragraphe est encore la magnification suprême de la solitude.

Cette région secrète, cette solitude où les êtres – les choses également – se réfugient, c’est elle qui donne tant de beauté à la rue, par exemple : je suis dans l’autobus, assis, je n’ai qu’à regarder dehors. La rue descend que l’autobus dévale. Je vais assez vite pour n’avoir la possibilité de m’attarder sur un visage ou un geste, ma vitesse exige de mon regard une vitesse correspondante, eh bien, pas un visage, pas un corps, pas une attitude qui ne soient apprêtés pour moi : ils sont nus. J’enregistre : un homme très grand, très maigre, voûté, la poitrine creuse, lunettes et long nez ; une grosse ménagère qui marche lentement, lourdement, tristement ; un vieillard qui n’est pas un beau vieillard, un arbre qui est seul, à côté d’un autre…. ; un employé, un autre, une multitude d’employés, toute une ville peuplée d’employés courbés, tout entier rassemblés dans ce détail d’eux-mêmes que mon regard enregistre : un pli de la bouche, une lassitude des épaules….chacune de leurs attitudes, à cause peut-être de cette vitesse de mon œil et du véhicule, est griffonnée si vite, si vite saisie dans son arabesque que chaque être m’est révélé dans ce qu’il a de plus neuf, de plus irremplaçable – et c’est toujours une blessure – grâce à la solitude où les place cette blessure dont ils ont à peine connaissance et où pourtant tout leur être afflue. Je traverse ainsi une ville crayonnée par Rembrandt, où chacun et chaque chose sont saisis dans leur vérité qui laisse loin derrière la beauté plastique. La ville – faite de solitude – serait admirable de vie, sauf que mon autobus croise des amoureux traversant une place : ils se tiennent par la taille et la fille a inventé ce geste charmant, mettre et garder sa petite main dans la poche revolver du blue-jean du garçon, et voici que ce geste gracieux et apprêté vulgarise une page de chef d’œuvre.
La solitude, comme je l’entends, ne signifie pas condition misérable mais plutôt royauté secrète, incommunicabilité profonde mais connaissance plus ou moins obscure d’une inattaquable singularité. »

In L’atelier d’Alberto Giacometti, Paris, les éditions de l’Arbalète, 1963 avec 33 photos



©Jean Vinatier 2008

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