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mardi 22 avril 2008

Fernando Lugo de l’autel à la présidence du Paraguay N°188 - 1ere année

Fernando Lugo, l’ancien évêque devenu Président de la République du Paraguay a eu les mots « gaulliens » : « Vous avez décidé de ce qui doit être fait au Paraguay. Vous avez décidé de libérer le Paraguay. Merci, merci à tous. »¹
Son élection est une rupture. Le parti colorado qui dominait la vie politique du pays depuis 1887 et qui a fonctionné pendant la dictature du général Stroessner (1954-1989) et après sa chute succombe devant une coalition de huit partis de gauche regroupés dans l’Alliance patriotique pour le changement.
L’Asie se manifeste aussitôt le résultat proclamé :
« el pueblo chino siempre tiene sentimientos de amistad hacia el pueblo de Paraguay » rapportent les principaux médias d’Asunción , La nación, Ultima hora². Pourquoi cet intérêt ? Parce que le Paraguay est le seul Etat d’Amérique du Sud à avoir des relations officielles avec Taiwan qui « desea lazos màs fuertes con el nuevo gobierno »
Aucune nation n’échappe au monde ni aux intérêts mercantiles et géopolitiques.
Qui est Fernando Lugo? Il est né, en 1951, dans une famille modeste à fort esprit contestataire. Le jeune Fernando surprit donc et même choqua quand il devint prêtre en 1977. Son oncle, Epifanio Méndez Fleitas (1917-1985) haut fonctionnaire (chef de la police, président de la banque centrale) entré en dissidence pendant la dictature du général Stroessner (1954-1989), connut l’arrestation, la torture puis l’exil en Uruguay, en Argentine, aux Etats-Unis. Fernando Lugo doué également d’un tempérament fort sera, lui-aussi, expulsé du pays en direction du Vatican. En 1994 il est consacré évêque de San Pedro de Ycuamandyyú. En 2008, Benoît XVI le suspend a divinis³ pour lui permettre de briguer la présidence.
Le Paraguay est un pays pauvre mais singulier. Les Guaranis forment l’assise du pays. Le guarani est la seconde langue officielle avec l’espagnol, la monnaie porte leur nom. Remontons le cours de l’histoire. Vers 1609, les jésuites entreprennent de former les Indiens guaranis. Ils créent des missions pour regrouper les Indiens, les évangéliser, les sociabiliser et les protéger des razzias des marchands d’esclaves. L’ordre religieux obtient du roi d’Espagne, Philippe IV, en 1640 de former une autonomie ou réduction au sein de l’empire colonial. Les Guarinis sont exemptés de l’encomienda c’est-à-dire d’être contraints à travailler sans rétribution dans les mines et les champs. Les réductions jésuites (mais aussi franciscaines) auront un succès croissant. On les dénommera républiques. Elles correspondaient grossièrement à l’actuel Paraguay. Les rivalités frontalières entre les empires portugais et espagnol trouveront leurs solutions par le sacrifice des réductions qui seront détruites sur l’ordre de Charles III en 1767. Moment historique bien relaté dans le film
The mission de Roland Joffé en 1986 avec Jeremy Irons dans le rôle de Frère Gabriel.
Ce passé indien compte beaucoup dans la mémoire collective paraguayenne. Le Paraguay, indépendant de la couronne espagnole depuis 1811, a eu de la difficulté à s’affirmer avec de si puissants voisins, l’Argentine, la Bolivie, le Brésil. La guerre de la Triple alliance (Argentine, Brésil, Uruguay 1865-1870), provoquée par le président-maréchal Francisco Solano Lopez ( 1826-1870) a failli faire disparaître toute la population. On ne comptait plus qu’un homme pour quatre femmes.
En 1932-1935 c’est le conflit avec la Bolivie autour de la richesse pétrolifère supposée de la province du Chaco à cheval sur les deux pays. Le Paraguay cultivait le maté dans cette province contestée. Guerre gagnée par le Paraguay qui s’agrandit 120 000 k2…et point d’or noir ! Vint ensuite la longue dictature du général Stroessner (1954-1989) qui provoqua l’exil de centaine de milliers de paraguayens et la mort d’un nombre similaire.
Le Paraguay bascule à gauche, dit-on ! Oui mais de quelle gauche parle-t-on ? C’est une gauche bien mesurée, délivrée de toutes les exubérances des décennies précédentes. Le fait original est de voir accéder à la présidence un prélat à la tête d’une nation métissée (92%) où la question indienne se retrouve posée comme elle l’avait été pendant la période des réductions. Aujourd’hui le mouvement indien traverse l’ensemble des Amériques, du nord au sud. Fernando Lugo s’exprime simplement
: « Je veux que mon pays soit respecté, que nous récupérions notre dignité en tant que nation. Le Paraguay ne doit pas seulement être connu pour la corruption, la contrebande, le lavage d'argent sale, le trafic de drogues. Mon pays doit être reconnu pour son honnêteté. »
Que signifie l’honnêteté d’un Etat ? Dans la bouche du président-prélat c’est pratiquement un principe philosophique. On est loin des gesticulations d’un Chavez. On est plus proche d’un Evo Morales (Bolivie), d’un Rafael Correa (Equateur), du pragmatisme du brésilien Lula. Tous ont un point commun le refus de la domination nord-américaine ce qui ne veut pas dire pratiquer un « anti-américanisme primaire ». Sentiment que partagent, avec des variantes, l’Argentine des Kirchner, le Chili de Michelle Bachelet. L’Amérique du sud change : ne vient-elle pas de fonder sa propre banque du Sud en 2007 ?
L’élection de Fernando Lugo constitue un moment historique, l’héritage des réductions n’est pas vain. Il recèle une énergie peu commune mais plus encore historique.
L’intérêt porté par Pékin et Taipei dépasse largement leur seule concurrence inter-chinoise. Il montre que tout pays quel que soit sa taille participe à la nouveauté planétaire dans sa trajectoire sud-sud. Tout est bien interconnecté et la distance n’existe virtuellement plus.


©Jean Vinatier 2008

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Sources :

1-
http://www.lanacion.com.py/noticias_um.php?not=184113
http://www.ultimahora.com/notas/110232-China-toma-nota-del-éxito-en-las-elecciones-en-Paraguay

2-
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2335700&rubId=4077
Lire aussi dans El Pais :
http://www.elpais.com/articulo/internacional/izquierda/extiende/Suramerica/elpepiint/20080423elpepiint_4/Tes

Note :

3-A divinis : l’homme d’église ne peut plus ordonner les sacrements mais il reste évêque consacré.

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