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jeudi 6 mars 2008

Hubert Robert et 1789 N°155 - 1ere année

Hubert Robert (1733-1808) est l’un des peintres les plus connus du dix-huitième siècle français. Surnommé par ses pairs « Robert des ruines » en raison du nombre de ses dessins et croquis qui les représentaient. Sans doute, est-ce pendant son séjour à Naples en 1760 où il visita le chantier des fouilles de Pompéi qu’il prit goût pour ce genre. Il aménagea certaines parties de Trianon mais surtout les fameux jardins de Méréville – du comte de Laborde- et d’Ermenonville, propriété du marquis de Girardin où vécut Jean-Jacques Rousseau.
Nommé tour à tour, garde des Jardins du Roi, garde des Tableaux du Roi, garde du Museum, l’ancien régime le comblait assez bien.
Arrêté le 30 octobre 1793, peut-être, sur une dénonciation du peintre David qui se voulait si farouche révolutionnaire -, il écrivit pendant les dix mois de sa détention d’abord à Sainte-Pélagie puis à Saint-Lazare, un
Journal imaginaire de mes prisons en ruines.
Dans l’extrait proposé à votre lecture, le peintre lie son œuvre aux événements. Il les analyse, en partie, comme s’il devait s'en servir pour sa défense. Heureusement pour lui, la chute de Robespierre le 27 juillet 1794 entraîna sa libération le 4 août suivant.
On a moqué, un peu, son goût pour les ruines (celui de son temps) ; or dans ce Journal, il donne à la ruine une dimension originale.
Hubert Robert, qui a vécu ces évènements, apporte, ici et là des bémols et une certaine philosophie…autour des ruines
!
« Prison de Sainte-Pélagie, le 25 novembre 1793

[….]En cette fin du siècle je m’aperçois que Jean-Jacques Rousseau, qu’il l’ait voulu ou non, a tout bonnement ressuscité dans une chair politique, le fanatisme que Voltaire avait, lui, combattu sans équivoque, sous sa peau religieuse.
Que certains hommes soient avides de pouvoir, comme d’autre d’argent ou de femmes, c’est ce que je conçois fort bien : la société, sinon la nature, engendre toutes les perversions. Mais, voilà précisément une remarque qui devrait aider à départir et discréditer les uns et les autres. Voilà qui devrait définitivement ceux qui ne partagent nullement ces passions, de mourir ou de tuer pour des désirs particuliers qui cherchent à se satisfaire en se parant du manteau de l’intérêt général.
Il faut admettre que dans des sociétés aussi imparfaites que les nôtres, la police, l’armée, la classe politique sont des nécessités. Mais des nécessités dont on doit avoir honte. Tant qu’elle n’aura pas compris que les hommes politiques forment une catégorie particulièrement méprisable, l’humanité ne se sera pas libérée. J’entends par hommes politiques les citoyens qui prétendent exprimer les exigences générales de la masse aussi bien que ceux qui défendent les privilèges purement économiques d’un groupe. Ils mentent également, et plus que jamais quand ils croient ce qu’ils disent !
Je ne suis pas un partisan de l’ancien régime. Le problème ne se posait pas pour moi de soutenir ou non les institutions que le hasard de ma naissance me contraignait d’accepter. Je n’oublie pas que je suis fils d’un valet de chambre. L’instruction soignée que mon père, tel Horace, me fit donner dans le prestigieux collège de Navarre m’a assez rapproché des enfants de la noblesse pour que je n’ignore rien de leur morgue. Je savais les abus, j’en souffrais parfois, je profitais aussi de certains privilèges dûs à de hautes protections. Je n’exprimerai jamais assez ma reconnaissance envers Monsieur le Duc de Choiseul. Je peux même dire que, si j’ai beaucoup travaillé pendant mon séjour à Rome – au point d’y compromettre ma santé- j’ai eu de la chance en revenant en France. Je n’ai pas attendu longtemps le succès.
Cela ne m’a nullement empêché d’accueillir favorablement la Révolution. 1789 ne m’a pas plus surpris qu’un autre. Et comme chacun, j’ai applaudi la pièce nouvelle qui se jouait sur la scène politique. Mais, je me suis bien gardé de vouloir tenir un rôle parmi les marionnettes du jour. J’assiste à ma vie comme spectateur : j’aime surprendre la lente dégradation des lieux que je traverse. J’aime fixer les événements et les décors avant que l’érosion du temps les ait définitivement effacés. Je crois éterniser les instants ! Prétention dérisoire de peintre, qui m’aide à vivre….
Ainsi, j’ai peint la Bastille dans les premiers jours de sa démolition. Hommage aux démolisseurs ? Certainement pas. Je défie quiconque de montrer sur la toile le moindre élément qui puisse aller en ce sens. J’ai simplement remarqué que sous cet angle et dans cet éclairage rougeâtre, la forteresse ressemblait à un bel édifice romain dont on hâterait la ruine. Cela rejoignait les thèmes fondamentaux de mon œuvre. N’y cherchons pas un acte de rupture avec l’ancien régime. Nulle ingratitude de ma part. De l’indifférence plutôt. Un monde meurt, un autre naît qui lui ressemblera probablement pour l’essentiel, malgré quelques changements superficiels. On détruit une prison, on en peuplera d’autres. On exposa mon tableau au Salon de 1789. Je passais alors pour révolutionnaire. Quelle plaisanterie ! Ma « Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790 » qui me valut un brevet de civisme, est avant tout une peinture de ciel….
En revanche lorsque, en 1792, j’ai représenté la dernière messe de la famille royale, aux Tuileries, on n’a pas manqué de voir là un hommage ému à la monarchie déchue. Autre plaisanterie ! Personne, semble-t-il, en s’est avisé que la famille royale tourne le dos aux spectateurs et demeure agenouillée, figée, l’attention fixée sur les livres de messe, la tête basse devant une tapisserie qui représente une scène passée
La signification de l’ensemble me paraît claire : tous ces personnages doivent quitter l’histoire qui se fait derrière eux, sans eux et bientôt contre eux. Je propose qu’on invertisse les interprétations : ma Bastille exprime la nostalgie de l’ancien régime et ma Messe est une œuvre révolutionnaire !
Que dire de mon dernier tableau peint peu de jours avant mon arrestation, « La violation des caveaux royaux dans la basilique de Saint-Denis » ? Faut-il y voir une condamnation ? […]
C’est l’une des toiles auxquelles je tiens le plus : l’événement est venu au-devant même de mes motifs habituels. C’est le viol que j’ai peint, dans toute sa nudité, toute sa séduction, toute la fascination qu’il exerce sur moi. Un fantasme sexuel, lié à la mort, une fois de plus, qui ne respecte pas plus les Reines que les farouches tricoteuses.
Sans être hostile aux idées nouvelles, je me suis abstenu des actions lyriques. Je n’ai pas donné dans les enthousiasmes ridicules de 1789. On n’a certainement jamais pardonné à ma femme de ne pas s’être rendue, comme Madame Fragonard, Madame David et une vingtaine d’épouses d’artistes, le 7 septembre 1789, à Versailles, faire l’hommage patriotique à la nation de ses bijoux, afin d’éteindre la dette publique ! Ces générosités démagogiques me répugnent. Diderot, au moins me faisait la morale au nom de la peinture, quand il me reprochait de travailler trop vite parce que je voulais gagner beaucoup d’argent : « sa femme est une élégante » écrivait-il ! Oui, j’ai rêvé, je l’avoue, de faire une Reine d’Anne-Gabrielle, on une harengère. Je voulais qu’elle gardât ses bijoux, ses robes, ses parfums. Je ne serais pas peintre si je n’avais la passion du luxe et des parures inutiles.
En vérité, j’ai aussitôt deviné que derrière l’empressement à porter à l’Assemblée ses quelques richesses individuelles, se cachait le désir d’alimenter un nouveau bûcher des vanités. Nos révolutionnaires sont autant de Savonarole…Merci ! Je serai toujours du côté des Médicis fastueux – à quelques excès qu’ils se livrent – contre ces fanatiques à la triste figure. »¹

©Jean Vinatier 2008

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Source :

1-Claude Courtot : Hubert Robert : Journal imaginaire de mes prisons en ruine, Ed José Corti, Paris,1988, pp. 24-28

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