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mardi 19 février 2008

Luis Cernuda: "Le temps" N°143 - 1ere année

Le poète Luís Cernuda né à Séville en 1902, mort à Mexico en 1963 a écrit ce recueil de 63 poèmes en prose, Ocnos à partir de 1940. Ocnos est la figure symbolique de l’au-delà ; mais elle est aussi l’homme qui travaille sans fin : on le représente tressant une corde qu’une ânesse mange au fur et à mesure.
Luís Cernuda appartint à un mouvement artistique qu’on appela « génération de 1927 ». Pablo Picasso, Salvador Dali, Luis Bunuel y jouèrent un rôle moteur. L’assassinat du poète Fédérico Garcia Lorca en juillet 1936 par les nationalistes (franquistes) sonna le glas de cette génération imaginative.
Luís Cernuda ira, comme ses pairs, de pays en pays (Espagne, Royaume-Uni, Etats-Unis, Mexique), d’un exil à un autre. Il donnera à son enfance une dimension unique en la recréant à travers un mythe: celui du Paradis perdu. C’est « le douloureux cheminement de l’adulte vieillissant chassé de l’Eden d’enfance. » nous dit son préfacier et traducteur Jacques Ancet.
Voici Le temps :

« Il arrive un moment dans la vie où le temps nous atteint. (Je ne sais pas si je m’exprime bien.) Je veux dire qu’à partir d’un certain âge nous nous voyons soumis au temps et obligés de compter avec lui, comme si quelque vision de colère, d’une épée éclatante, nous chassait du paradis premier où tout homme a vécu une fois libre de m’aiguillon de la mort. Années d’enfance pour qui le temps n’existe pas ! Un jour, quelques heures sont alors le chiffre de l’éternité. Combien de siècles contiennent les heures d’un enfant ?

Je me rappelle ce coin du patio de la maison natale, et je me revois, solitaire, assis sur la première marche de l’escalier de marbre. La voile était tendue, plongeant le lieu dans une fraîche pénombre, et sur la grosse toile, où filtrait tamisée la lumière de midi, une étoile détachait ses six pointes de tissu rouge. Par l’espace découvert du patio, montaient jusqu’aux balcons ouverts les larges feuilles de palmiers, d’un ver obscur et brillant, et en bas, autour de la fontaine, se serraient les pots fleuris de lauriers-roses et d’azalées. L’eau murmurait en ruisselant avec un rythme monotone, berceur, et tout au fond de l’eau des poissons écarlates nageaient d’un mouvement inquiet et leurs écailles scintillaient en un éclair d’or. Eparse dans l’atmosphère, flottait une langueur qui lentement envahissait mon corps.

Là, dans l’absolu silence estival souligné par la rumeur de l’eau, les yeux ouverts sur une claire pénombre qui mettait en relief la vie mystérieuse des choses, j’ai vu les heures rester immobiles, suspendues en l’air, tel le nuage qui dissimule un dieu, pures et aériennes, sans s’écouler. »¹

©Jean Vinatier 2008

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Source :
1-Luis Cernuda, Ocnos, traduit et préfacé par Jacques Ancet, Mont-de-Marsan, Le cahier des brisants, 1987, p.31.

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