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vendredi 8 février 2008

Etienne de La Boétie : « La servitude volontaire » N°135 - 1ere année

" Tout pouvoir ne vit que de ceux qui s’y résignent. " Tel serait l’axiome principal de La servitude volontaire rédigée par La Boétie âgé alors de 16 ans ou de 18 ans et publiée une première fois en 1576.
Qui est-il ? Né à Sarlat en 1530 dans la bonne bourgeoisie cultivée, érudite ; il meurt à 33 ans, victime de la peste. La France de La Boétie et de Montaigne, son ami, son compagnon, est plongée dans les guerres de religion et la Renaissance. Guerres et découvertes de terres inconnues. Le temps des troubles !
La servitude volontaire est un réquisitoire contre la tyrannie d’un seul et non, a priori, contre l’Etat regardé comme « un sage instrument de mesure ». La Boétie se veut un apôtre de la justice exercée dans l’indépendance du jugement avec la raison pour critère unique. Il pense également que plusieurs religions ne nuisent pas à la cohésion de l’Etat. Il rejoint, par exemple, les opinions de ses contemporains tels Michel de l’Hospital, Etienne Pasquier.¹
L’édit royal de janvier 1562² prône la tolérance. Mais le 1er avril suivant le massacre, à Wassy, de protestants en prières par une troupe de catholiques menés par François de Guise, fait basculer le royaume dans les violences des guerres de religion jusqu’à l’édit de Nantes signé par Henri IV.
Quelle est donc la modernité de l’écrit de La Boétie ? Il est conscient que si le monde ne peut fonctionner sans maîtres, le peuple doit savoir sortir de sa servitude contre le tyran.
Le maître mot de La Boétie comme pour ses pairs et ceux du siècle suivant, c’est le refus de la tyrannie et plus exactement du soupçon de tyrannie. Rappelons-nous les événements de la Fronde (1648-1653) et la révolution anglaise contre Charles Ier Stuart.
Le XIXe siècle reprit mal la notion de tyran, de tyrannie du fait de la Révolution de 1789. Ce siècle, d’ailleurs, forma le néologisme « absolutisme » pour décrier la monarchie absolue (au sens de parfait)
En 2008, nous ne sommes pas à l’abri de la tyrannie, elle nous guette. L’extrait du texte ci-dessous n’a d’autre intention que de rappeler que la révolte contre un tyran qui asservit les hommes est le seul moyen de reconquête des libertés, un chef élu démocratiquement peut le devenir; c’est aux citoyens d’être vigilants.
« Pauvres et misérables peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien ! Vous laissez emporter devant vous le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, voler vos maisons et les dépouiller des meubles anciens et paternels ; vous vivez de sorte que vous ne vous pouvez vanter que rien soit à vous, et semblerait que, désormais, ce vous serait grand bonheur de tenir à loyer vos biens, vos familles et vos viles vies. Et tout ce dégât, ce malheur, cette ruine vous viennent non pas des ennemis, mais certes oui bien de l’ennemi : de celui que vous faites si grand qu’il est, pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la grandeur duquel vous ne refusez point de présenter à la mort vos personnes.
Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de vos villes, sinon qu’il a plus que vous tous : c’est l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où a-t-il pris tant d’yeux dont il vous épie si vous ne les lui donnez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il s’ils ne sont les vôtres ? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous que par vous ? Comment oserait-il courir sus s’il n’avait rapport avec vous ? Que vous pourrait-il faire si vous n’étiez receleurs du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traîtres à vous-mêmes ? Vous semez vos fruits afin qu’il en fasse le dégât ; vous meublez et remplissez vos maisons afin de fournir à, ses pillages ; vous élevez vos filles afin qu’il ait de quoi soûler sa luxure ; vous nourrissez vos enfants afin que, pour le mieux qu’il saurait faire, il les mène en ses guerres, qu’il les conduise à la boucherie, qu’il les fasse ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances ; vous rompez à la peine vos personnes afin qu’il se puisse mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales et vilains plaisirs ; vous vous affaiblissez afin de le rendre plus fort et ferme à vous tenir plus courte la bride ; et, de tant d’indignités que les bêtes mêmes ou ne les sentiraient point, ou ne l’endureraient point, vous pouvez vous en délivrer si vous essayer non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire.
Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez, ni l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé la base, de son poids même s’effondrer et se rompre »³

©Jean Vinatier 2008

Notes :

1-Etienne Pasquier, Exhortation aux princes et seigneurs du conseil privé du roi pour obvier aux seditions qui occultement semblent nous menacer pour le faict de la religion, s.d
Né en 1529, mort en 1615. Avocat au Parlement de Paris puis avocat général près la Chambre des comptes.
Michel de l’Hospital, chancelier de France (1507-1573). Lire l’excellente biographie par Denis Crouzet: La sagesse et le malheur: Michel de L'Hospital, chancelier de France, Seyssel, Champ Vallon, 1998

2-L’édit de janvier 1562 est le résultat du colloque de Poissy, septembre-octobre 1561.
3-Etienne de la Boétie, La servitude volontaire, Paris, éditions Arléa, 2003, pp.17-18.
A lire l’ouvrage de Jean-Michel Delacomptée : Et qu’un seul soit l’ami, La Boétie, Paris, Gallimard, 1995.

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