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lundi 7 janvier 2008

1787 : « Messieurs, la Nation vous a appelés… » N°111 - 1ere année

La volonté du Président de la République est de réformer en tous domaines. Il est question, aujourd’hui, de revoir l’utilité du département. Mais, l’hésitation gagne, semble-t-il, l’Elysée.
Avant lui, Louis XVI, tenta de décentraliser le pays en accordant une représentation « politique » aux provinces.
Louis Benigne de Bertier de Sauvigny¹, intendant d’Ile de France applique l’une des réformes royales acceptées par l’assemblée des Notables³ : la généralisation des assemblées provinciales². Que sont-elles ? Des organes consultatifs composés d’élus et non plus des représentants des trois ordres (clergé, noblesse, tiers-état). Quelles seront leurs tâches ?Deux principales : répartir l’impôt, faire des propositions au Roi.
Les assemblées provinciales disparurent après la création des départements en 1790
.

Melun, séance du lundi 19 novembre 1787
« Messieurs, la Nation vous a appelés ; les notables se sont réunis pour voter votre existence et le Roi vous donne la partie de son autorité nécessaire pour faire le bonheur de ses sujets. Il vous confie ses propres intérêts ou pour mieux dire, il se persuade que ses intérêts ne sont que ceux de ses peuples, et après avoir admis dans ses conseils, les notables de la Nation, il associe à son administration ses représentants pour lui aider encore plus à faire le bonheur de son Royaume. Vraiment le père du peuple, il appelle sa famille pour gouverner avec elle. Tous les intérêts, tous les droits, toutes les lumières se réuniront pour le succès de vos opérations : les titres, les dignités, les richesses ne craindront pas de se confondre avec la simple propriété et l’utile agriculture pour travailler au bien général.
Dés les premiers pas que j’ai faits dans l’administration, j’avais conçu qu’on ne peut répartir l’impôt qu’avec le contribuable. J’avais osé l’appeler à mes opérations, et si je ne suis pas parvenu malgré mes efforts à la perfection dans ce travail important, au moins puis-je me flatter d’avoir convaincu la Province du désir que j’avais d’alléger le fardeau de ses charges en détruisant tout arbitraire dans leur assiette. Mais en abandonnant avec quelque regret une partie des fonctions auxquelles je mettais ma gloire et toute ma satisfaction, je ne me console que par le droit qui m’est conservé d’y porter les regards de la surveillance qui m’est ordonnée et de l’affection qu’elles m’ont inspirée, et par l’espoir qu’elles réussiront peut-être mieux dans vos mains. Eclairés par votre propre intérêt, excités par l’esprit de patriotisme, j’ose dire que vous ne mettrez pas plus de zèle que j’en ai mis à établir la juste proportion de l’impôt et à procurer aux peuples tous les soulagements qui étaient en mon pouvoir ; mais, Messieurs, vous y mettrez plus de moyens et je jouirai du bien que vous ferez et que j’aurais voulu faire.
Mon principal désir est que vous ne me regardiez pas comme étranger à la Province que vous allez administrer. Chargé depuis vingt-ans de ses intérêts, ayant été près de vingt ans occupé sous un père pour lequel je me flatte que l’on conserve de l’estime à me rendre digne d’administrer cette belle généralité, il me serait pénible de renoncer à lui être de quelque utilité. Puissent les travaux auxquels je me suis livré, puisse le zèle que j’ai mis à défendre la Province, puisse mon attachement aux habitants qui la composent, me mériter quelque confiance de votre part ! Elle sera plus douce et la plus glorieuse de mes jouissances et tous les moments que vous me ferez employer à lui rendre service, seront les plus beaux de ma vie.Je ne puis me dispenser de recommander à votre humanité, à votre zèle et à votre justice, trois objets pour lesquels je conserverai toujours un vif attachement : les pauvres taillables, l’agriculture et les coopérateurs qui m’ont aidé dans les travaux que j’ai entrepris. Quand vous serez dans le cas de les calculer, vous serez quelquefois effrayés des charges dont sont grevés les fonds de la généralité de Paris. Mais quand vous pousserez plus loin votre examen, vous serez touchés jusqu’aux larmes de l’énorme fardeau que supporte le taillable proprement dit sous la dénomination de taille personnelle. Je l’ai cependant soulagé et on m’en a fait des reproches. Ah !Messieurs, daignez le protéger ; c’est sur lui que portent toutes les charges de l’Etat et c’est lui qui vous donne des défenseurs, des cultivateurs et qui fait votre richesse en consommant vos denrées. Je ne me suis pas occupé à faire faire des progrès à l’agriculture tant que l’arbitraire de l’impôt en était le principal ennemi ; mais aussitôt qu’il a été détruit, mes soins les plus ardents se sont portés sur les moyens de la ranimer et de la faire fleurir. La Société qui devait la diriger rétablie, les Comices agricoles institués, des semences nouvelles distribuées, des bestiaux donnés en secours aux pauvres, des encouragements et des distinctions honorables accordés aux plus riches agriculteurs, ont porté une vive émulation et ses lumières dans l’agriculture. Je me flatte qu’en en suivant les effets vous ouvrirez une source féconde de richesses et de prospérités pour vos concitoyens.
Il me reste à vous parlez, Messieurs, des personnes qui m’ont aidé dans mon administration. J’ai fait de grands travaux, ce sera à vous à juger de leur utilité en en recueillant les fruits. Mais ces travaux ont au moins donné des connaissances, ils ont formé des hommes ; vous en trouverez de précieux ; je doute qu’il vous soit possible de n’en pas faire usage. Mais dans tous les cas, je serais ingrat de ne pas vous les recommander et vous trouveriez injuste de les abandonner. »
Si le discours est très « rousseauiste » par le ton, imaginons, un instant, quel discours ferait un préfet dans cette situation….C’est un clin d’œil ? Pas entièrement.

©Jean Vinatier 2008


Sources :

1-Né en 1737, il succède à son père comme intendant de Paris en 1776. Il meurt massacré devant l’Hôtel de ville de Paris le 22 juillet 1789 : « Un soldat lui fend la poitrine et lui arrache le cœur. Un autre lui coupe la tête et la promène au bout d'un bâton. »
2- En 1778, les premières assemblées provinciales (Berry, Haute-Guyenne) étaient des corps administratifs.
3-Assemblée des Notables tenue à Versailles entre le 22 février et le 25 mai 1787.
4-Texte cité in Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale de l’Isle de France tenues à Melun (août et novembre-décembre 1787), Paris, Imp. Royale, 2 vol, 1787

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